EXPOSITION : « Ricochet, couteau et savoir-faire »
Studio Monsieur, designers – fin de résidence au Pôle Expérimental des Métiers d’Art de Nontron et du Périgord-Limousin, dans le cadre des Résidences de l’Art en Dordogne.
Du 23 novembre 2019 au 1er février 2020
Vernissage samedi 23 novembre 2019 à 18h
Horaires et jours d’ouverture :
Du lundi au samedi  – 10h-13h et 14h-18h
Attention, fermetures exceptionnelles le 25 décembre, le 1er janvier et le 7 janvier !
ENTRÉE LIBRE ET GRATUITE. Accès handicapés.

Lieu :
Pôle Expérimental Métiers d’Art de Nontron et du Périgord-Limousin
Château, av. du Général Leclerc 24300 NONTRON
05 53 60 74 17 – contact@metiersdartperigord.fr

Visite guidée : samedi 7 décembre, 16h, gratuit.

Depuis janvier 2018, le PEMA accueille, dans le cadre des Résidences de l’Art en Dordogne, le duo de designers Studio Monsieur, composé de Romain Diroux et Manon Leblanc. Cette résidence autour du design et des métiers d’art leur a permis de travailler en collaboration avec des professionnels des métiers d’art du territoire, lors de nombreux séjours.

La démarche de création des designers de Studio Monsieur s’élabore au fil des collaborations. La mise en valeur d’un savoir-faire traditionnel, d’une ressource locale, d’un patrimoine culturel, géographique et historique au travers du design ; les matières, les gestes qui les façonnent et les processus de fabrication sont pour eux source d’innovation et la base de projets développés au sein même des ateliers.
Lors de leur résidence à Nontron, c’est cette même méthode de travail que Romain Diroux et Manon Leblanc appliquent aux spécificités du Périgord-Limousin. Ils choisissent un objet emblématique du nontronnais, le couteau, et des matériaux locaux, la pierre, le cuir, l’émail, le bois et le métal. L’exploration des matières et des savoir-faire, au sein des ateliers métiers d’art, donne naissance à une nouvelle typologie de couteaux.
Avec la coutellerie Nontronnaise, Studio Monsieur a détourné, en un geste poétique, les caractéristiques traditionnelles que sont la virole en laiton et la mystérieuse pyrogravure pour la réalisation de couteaux pour enfants. Puis ils revisitent graphiquement le couteau de poche ; les lignes épurées et couleurs primaires l’inscrivent dans le monde contemporain tout en conservant son aspect atemporel.
Les compétences multiples du coutelier-forgeron Michel Lemans leur permettent de développer des expérimentations avec d’autres savoir-faire métiers d’art. Ainsi, avec le sculpteur de pierre, Pierre Carcauzon, ils glanent des galets au creux des rivières pour réaliser des couteaux de poche que l’on caresse au creux de la main. Avec Caroline Samuel, la maroquinière, ils mettent au point un système de manche-étui en cuir. Enfin, avec Natacha Baluteau, émailleuse d’art, ils allient la matière précieuse au modèle du manche d’outil pour un couteau franc et élégant.

L’exposition « Ricochet – couteau et savoir-faire » présente les prototypes et le processus créatif lié à chaque projet.

Studio Monsieur a collaboré avec les professionnels des métiers d’art :
La coutellerie nontronnaise, Michel Lemans – coutelier forgeron, La coutellerie Le Périgord, Natacha Baluteau – émailleuse d’art, Pierre Carcauzon – sculpteur et tailleur de pierre, Caroline Samuel – maroquinière.

Des hiboux et des cailloux : Studio Monsieur à Nontron par Tony Côme

Ouagadougou, Kyoto, Meisenthal et, dernier ricochet en date, Nontron. Depuis leur rencontre à l’école supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg et la fondation du Studio Monsieur en 2012, les designers Manon Leblanc et Romain Diroux enchaînent les résidences. Ces séjours, relativement brefs mais toujours immersifs, sont l’occasion pour eux de collaborer de manière rapprochée avec différents artisans, de découvrir des savoir-faire locaux et d’envisager le travail de nouveaux matériaux. Après le Burkina Faso des fondeurs d’aluminium et des bronziers(1), après le Japon des fabricants d’autels bouddhistes et des maîtres yūzen(2), après les Vosges des maîtres verriers(3) : voici venu le temps du Périgord vert(4). Qu’y faire ? Si les précédents mariages avec des artisans avaient été arrangés, du moins préfigurés par les organisateurs de ces expéditions (Hors-Pistes, Kyoto contemporary project, CIAV), les résidents du Pôle Expérimental des Métiers d’Art de Nontron (PEMA) sont invités à explorer le territoire sur le long terme (trois mois répartis sur deux ans) pour y tisser eux-mêmes un réseau de collaborateurs(5) cohérent avec leur démarche.

Ainsi, au fil des expéditions dans les profondeurs de la Dordogne, des visites d’ateliers et des échanges, des affinités électives se sont déterminées et un projet s’est dessiné. Autour du couteau de poche, emblème historique de la région, fédérer des couteliers bien sûr (la Coutellerie nontronnaise, la Coutellerie Le Périgord, Michel Lemans) mais aussi une émailleuse d’art (Natacha Baluteau), une maroquinière (Caroline Samuel) et un sculpteur tailleur de pierre (Pierre Carcauzon). S’embarquer avec ces différents faiseurs, à des fins expérimentales, dans un processus de fertilisation croisée. Prouver la complémentarité des expertises de chacun, quitte à malmener un peu la silhouette habituelle de l’objet coupant. S’autoriser, ensemble, à repartir de zéro. Revenir au désir d’entaille, au déploiement d’une lame, aux gestes de coupe. Repenser au célèbre aphorisme de Lichtenberg, à ce « couteau sans lame auquel ne manque que le manche ». Et puis, dans un second temps seulement, inviter à nouveau la matérialité – mais en redistribuant autrement les cartes. Juste pour voir.

Si le travail de la lame, assez légitimement, revient encore aux couteliers, pourquoi le manche ne serait-il pas, pour une fois, fabriqué par la maroquinière ? Pourquoi ne pas imaginer un couteau en partie souple ? Le cuir refuserait alors le statut qu’on lui octroie la plupart du temps : simple couche protectrice, enrobage accessoire, fourreau ou étui. Il s’émanciperait pour revendiquer, par le truchement d’un savant pliage et surtout grâce au savoir-faire de Caroline Samuel, une inédite rigidité. La peau tannée prétendrait à un rôle plus structurant. Franchement secoué par ce jeu de ricochets interdisciplinaires, un tel couteau(6) migrerait des armureries un peu frustes que fréquentent les chasseurs vers des vitrines plus raffinées.

Et ces strates de rondelles de cuir qui constituent déjà les manches de certains outils de coupe ? Le carnaval des matières n’est pas terminé. Studio Monsieur veut les remplacer par des bagues de cuivre émaillé, en sollicitant la précieuse expertise de Natacha Baluteau. Juste pour essayer. Juste pour toucher. Michel Lemans est quant à lui appelé à façonner la lame associée. Ainsi, par l’intermédiaire des designers, un dialogue s’instaure entre les artisans. Studio Monsieur invente des traits d’union, des terrains d’entente où les échelles d’intervention de chacun peuvent être amenées à se télescoper, et les outils de prédilection à être momentanément échangés.

Lampes en pigment, bifaces en verre soufflé, béton léger comme de la mousse expansée : Studio Monsieur pratique la transsubstantiation depuis quelques temps déjà. Là, ça vire à la signature, si ce n’est à la manie. Le long des rivières, nombreuses dans la région, encore une pulsion de ce genre : transformer les galets en canifs. Étrange alchimie. Étonnante paréidolie. Depuis longtemps, la modeste pierre hante la corporation des designers. On pille ses formes pour concevoir des radios, des rasoirs, des télévisions futuristes. Bruno Munari lui a dédié un livre entier(7). Plus récemment, Martin Szekely en a tiré une gamme de tabourets(8). Comment expliquer une telle fascination pour le galet ? « Comparé au banc rocheux d’où il dérive directement, il est la pierre déjà fragmentée et polie en un très grand nombre d’individus presque semblables. » Comme le souligne ici Francis Ponge, le galet est en puissance un produit de série différenciée. La pierre appelle le projet de design : « elle roule, elle vole, elle réclame une place à la surface ». Elle « repose sur l’amoncellement des formes de son antique état, et des formes de son futur », précise encore le poète(8). Avec Manon Leblanc et Romain Diroux, qui ne sont pas à un oxymore près, le galet futur sera à affûter, ses rassurantes rondeurs cacheront quelque chose de coupant. Pour cette expérience-là, le duo s’est entouré du coutelier Michel Lemans et du sculpteur Pierre Carcauzon. Chaque galet ramassé implique pour eux un travail extrêmement minutieux. La nature, considérée ici comme directrice artistique, exige le sur-mesure. À l’issue de cette négociation avec l’aléatoire : une myriade de petites lames en perspective et donc d’usages précis à associer.

Enfin, Manon Leblanc et Romain Diroux se sont invités au sein de la Coutellerie nontronnaise et ont improvisé une variation sur leur célèbre couteau pliant, un modèle historique dont le manche de buis est caractérisé par la présence d’un petit signe pyrogravé – une « voûte » ou une « mouche » selon les interprétations. Outre de nouvelles pistes chromatiques, le duo de designers a proposé de découper deux grands yeux dans la virole en laiton et de démultiplier la mystérieuse marque de fabrique. Ultime métamorphose : le veinage du bois se pare d’un plumage, le couteau de poche se fait oiseau de nuit. D’ores et déjà commercialisé, ce Petit Duc à la lame ronde(10) vole aujourd’hui de ses propres ailes.

Tony Côme

1-Voir la petite table Hors Série et la corbeille Zawore réalisées par Studio Monsieur en 2013.
2-Voir le panneau intérieur Masu Gumi (2015) et la gamme d’éventails Fuu (2017).
3-Voir la boule de Noël Silex (2015).
4-Studio Monsieur a été invité à prendre part au dispositif « Résidences de l’Art en Dordogne » (2018-2019) coordonné
par l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord.
5-Parmi les nombreux adhérents du PEMA.
6-Sa lame a été réalisée par la Coutellerie Le Périgord.
7-Bruno Munari, Da lontano era un’isola, Milan, Emme, 1971.
8-Voir Martin Szekely, gamme de tabourets Artefact, 2013.
9-Francis Ponge, « Le Galet », dans Le Parti pris des choses, Paris, Gallimard, 1942.
10-Le modèle a ensuite été décliné pour les adultes et baptisé Grand Duc.

Studio Monsieur est accueilli en résidence design et métiers d’art à Nontron dans le cadre des Résidences de l’Art en Dordogne, un dispositif coordonné par l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord.
contact : 05 53 60 40 04 – www.culturedordogne.fr
Partenaires :
Ministère de la Culture / DRAC Nouvelle-Aquitaine, Conseil départemental Dordogne-Périgord, Conseil régional Nouvelle-Aquitaine, Communauté de communes du Périgord nontronnais, Ateliers d’Art de France, Pôle Expérimental Métiers d’Art de Nontron et du Périgord-Limousin, Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord.