Nous mettons ici à votre disposition les textes de l’exposition « Histoire(s) du couteau de Nontron » organisée par le Pôle Expérimental Métiers d’Art à l’Espace Paul Bert. Ils synthétisent et s’inspirent des recherches de messieurs Chaperon, Lapouge, Minier, Pijassou, Givernaud, Chabeaud, de M. et Mme Faye … L’exploitation des ressources minières du Pays nontronnais est très ancienne. Les Gaulois y installèrent les premières forges bien avant l’ère chrétienne.

Un environnement favorable

L’exploitation des ressources minières du Pays nontronnais est très ancienne. Les Gaulois y installèrent les premières forges bien avant l’ère chrétienne.

Petit à petit les forges se développent grâce à une utilisation rationnelle des ressources du lieu :

– le minerai de fer
– de riches réserves forestières
– les eaux froides du Bandiat
– et enfin, les journaliers, ouvriers agricoles travaillant aux forges en hiver qui constituent une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci.

C’est dans cet environnement favorable qu’est apparu le couteau de Nontron.La renommée des « couteaux de Pierregort » (Glossaire de Saint-Palaye) remonte au Moyen-Age.

 

Mais c’est au XVIIè siècle que se développe vraiment la coutellerie nontronnaise avec la venu du premier maître coutelier, GuillaumeLEGRAND, de la paroisse Saint-Eustache de Paris. Il se marie à Nontron le 13 Octobre 1654 et fonde la première « famille » de couteliers nontronnais. Deux de ses descendants exerceront la profession.

 

XVIIIè siècle

La naissance des grandes familles coutelières : les BERNARD et les PETIT

L’activité sidérurgique se développe au XVIIIè siècle avec l’installation de divers établissements (fonte au bois, affinage, « poëlerie » …) le long des rivières du Périgord septentrional, alors sixième région sidérurgique de France.

On compte 39 couteliers en Dordogne dont 5 à Nontron. A l’époque des chiens font tourner les polissoirs dans ce qui est encore un artisanat familial.

La production des coutelleries est déjà diversifiée. Le couteau ordinaire est destiné aux roturiers alors que les modèles en ébène et argent sont réservés aux aristocrates.
La fabrication de couteaux miniatures est attestée dès la fin du XVIIIèsiècle.
C’est au milieu du XVIIIè que naissent les deux grandes familles coutelières de Nontron : les BERNARD et les PETIT.

Jean BERNARD dit « Coucaille » est le premier coutelier de sa famille (attesté en 1727) et son frère Bertrand exercera la même profession. Jean a deux fils couteliers : François et Antoine.

Bertrand a deux fils : Jean dit « Contissou » et Guillaume, eux aussi couteliers.

Guillaume BERNARD se marie en 1777 à Marguerite PETIT. Il formera son beau-frère, Guillaume PETIT au métier de maître coutelier. C’est le premier de la lignée des PETIT.

XIXè siècle

L’âge d’or du couteau de Nontron

L’identité du couteau de Nontron s’affirme au cours du XIXè siècle.

Un document de 1827 (fonderie de la Jomelières) évoque les couteaux aux manches en buis et la réalisation de couteaux miniatures logeant dans une noisette (jusqu’à 72).

Les couteliers s’approvisionnent alors en buis dans les forêts nontronnaises, de Charente et du Causse de Quercy.

Un traité commercial de libre-échange est signé le 23 janvier 1860 entre l’Angleterre et la France. Les forges étaient alors à leur apogée. Elles vont disparaître progressivement, les vieux procédés de fonte au charbon de bois étant supplantés par la houille et la fonte anglaise.

Trois caractéristiques du couteau de Nontron apparaissent dans cet environnement particulier :
– le motif pyrogravé en forme d’arc auréolé de trois points
– une diversification des manches en buis : sabot (ou asymétrique), boule, queue de carpe, à double virole
– la virole tournante en laiton.

Paradoxalement, c’est pour la famille PETIT l’âge d’or de l’électricité et de l’industrialisation.

Ses couteaux sont primés dans de nombreuses expositions industrielles.

Dès 1849, la coutellerie « Petit Frères » est récompensée à l’exposition quinquennale des produits de l’industrie à Paris. André PETIT reçoit une médaille à l’exposition industrielle de 1885 puis à l’exposition universelle de Paris en 1900.

En 1911, il cumule vingt médailles dont dix premiers prix. En Septembre 1895, il profite de l’exposition industrielle de Bordeaux pour offrir un lot de couteaux nontronnais à Sa Majesté la Reine d’Angleterre.

La production de l’époque est très diversifiée : rasoirs, sécateurs, ciseaux, ustensiles … et satisfait jusqu’à la clientèle des « Apaches », célèbres malfrats parisiens !

XXè siècle

Couteau populaire et artisanat de luxe

Dès les années 1915-1930, les lames des couteaux de Nontron proviennent de Thiers. Il faut alors faire le tour des petits ateliers (rémouleurs, fondeurs, …) pour obtenir la lame désirée.

Pendant la première guerre mondiale, les coutelleries de Nontron produisent de grands couteaux palmaires à ressort, au manche en bois ou bois de cervidé.

Les « hirondelles de la mort » attaquaient les tranchées allemandes le couteau de Nontron entre les dents.
Mais les couteliers nontronnais ont du mal à faire face.
L’activité de la coutellerie BERNARD décline sensiblement. En 1919, elle est revendue à Louis BARRY.

Pour relancer l’activité, PETIT et BARRY s’allient avec l’aide de nombreux notables nontronnais : Tarneaud (banquier), Amblard (industriel), Goumard (pharmacien), Eglem (industriel), Lapeyre Mensignac (docteur).

Le 10 décembre 1928 naît la SARL « Coutellerie Nontronnaise » dont le siège se situe au 33, rue Carnot.

Le 15 Décembre 1930, un nouveau nom fait son apparition dans l’histoire de la coutellerie nontronnaise, Alphonse CHAPERON rachète la part de Jean PETIT et l’immeuble du 33, rue Carnot.

Pendant la seconde guerre mondiale, il faut à nouveau faire face aux difficultés. Alphonse Chaperon, qui possède un garage, découpe les viroles et les cachets dans les portes des C4 transformés en camionnettes à plateau. L’approvisionnement en buis étant difficile, les manches sont confectionnés en houx ou en acacia.

Après la Guerre, c’est le fils d’Alphonse, Gérard Chaperon, qui reprend l’affaire. Il diversifie la production en élargissant la gamme d’articles de table.
Sa clientèle est populaire et touristique. Dans la boutique on vend aussi des cadeaux et l’on fait beaucoup de réparations.
En 1968, Gérard Chaperon installe un atelier plus moderne à Azat qui annonce le fonctionnement actuel.

En 1986, la coutellerie est achetée par François Devige et Bernard Faye. En 1992, c’est la Forge de Laguiole qui en fait l’acquisition.
Les lames des couteaux sont forgées à Laguiole alors que l’acier est extrait des aciéries de Montpertuis dans l’Isère. Le buis provient du Nontronnais, de l’Angoumois (forêt de la Braconne) et du Poitou.

On peut aujourd’hui voir les artisans couteliers à l’œuvre dans le nouvel atelier bâti sur les plans de Luc Arsene-Henri. Le caractère artisanal de la production s’est maintenu et chaque couteau est toujours confectionné de bout en bout par un seul et même coutelier.

Même si le « Nontron » a perdu de sa valeur d’usage, celle du travail aux champs, il a gagné en valeur historique et sentimentale. Il s’agit dès lors d’un objet patrimonial qui témoigne de l’excellence d’un savoir-faire … tout en continuant d’évoluer et d’être le reflet de notre société aujourd’hui préoccupée par la mémoire, le design et la beauté, ou encore, soucieuse d’un usage simplifié.

 

Les autres couteliers

Au XIXè siècle les familles BERNARD et PETIT dominent l’activité coutelière à Nontron mais d’autres couteliers y exercent aussi.

Tous ces couteliers fabriquent le même type de couteau. On peut distinguer les qualités et particularités de chaque artisan dans la forme du manche, de la pyrogravure, dans la disposition des stries etc.

Jérôme GAILLARD, qui fait son apprentissage chez son beau-frère Léonard PETIT, sera ainsi coutelier de 1845 à 1868. LARIBIERE, coutelier de 1876 à 1883 pourrait être son successeur en raison de leur proximité stylistique.

D’autres couteliers sont recensés au XIXè siècle : Jean BARRIERE, BARDY, BOUCHAUD et MERIGUET.

Du début du XXè siècle à 1938, Jean DUPRET, apprenti d’André PETIT, fabrique des couteaux de Nontron à La Rochefoucault.

Louis BARRY exerce en son nom propre avant de s’associer à Jean PETIT. Il s’installera ensuite à Saint-Junien puis Bagnères-de-Bigorre où il fabriquera des ciseaux pour tondre les brebis.

Enfin, Henri CHABEAUD, apprenti, ouvrier, premier ouvrier puis chef d’atelier de Jean PETIT aura sa propre coutellerie au 10, rue des Prisons (actuelle rue des Ecoles), à Nontron, de 1930 à 1938.

Poinçons
Coutelier – Marque – Datation

BERNARD
□ Jean (dit « Coucaille ») et Bertrand BERNARD : vers 1730-1750
□ Guillaume BERNARD : vers 1770 – 1780
□ Jean BERNARD : vers 1770 – 1780
□ Pierre BERNARD : 1ère moitié du 19ème siècle
□ Guillaume BERNARD : « BERNARD » : 1842 – 1867
□ « BERNARD PERE » : 1867 – 1872
□ Pierre BERNARD : «BERNARD FILS A NONTRON » : 1867 – 1887
□ « BERNARD » : 1887 – 1909
□ François GRENOUILLET : 1910 – 1919

PETIT
□ Guillaume PETIT
□ Léonard PETIT(Guillaume dit Léonard) : « PETIT » : 1810 – 1820
« PETIT PERE » : 1846 – 1847
□ Léonard et Jean PETIT : « PETIT FRERES » : 1848 – 1867
□ Léonard PETIT : « PETIT » et « L. PETIT » : 1867 – 1877
□ Veuve de Jean PETIT : « VEUVE PETIT » : 1867 – 1879
□ André PETIT (1854 – 1916) : « PETIT » : 1877 – 1916
« A. PETIT A NONTRON »
□ Jean PETIT (1883 – 1931) : « JP », « PETIT A NONTRON » : 1910 – 1928
« J. PETIT A NONTRON »
□ Jean PETIT et Louis BARRY : « PETIT ET CIE » : 1928 – 1931

CHAPERON
□ Alphonse CHAPERON : « CHAPERON » : 1931 – 1945
« CHAPERON NONTRON »
□ Gérard CHAPERON : « CHAPERON NONTRON » : 1945 – 1986

AUTRES
□ Jérôme GAILLARD (1808 – 1868) : « JEROME » : 1845 – 1847
«GAILLARD A NONTRON» : 1847 – 1868
«VEUVE GAILLARD» : 1872 – 1875
□ LARIBIERE : «LARIBIERE» : 1876 – 1883
□ Jean BARRIERE : « BARRIERE » : vers 1770
□ BARDY : « BARDY » : 1843 – 1860
□ BOUCHAUD Pierre et MERIGUET : « BOUCHAUD ET MERIGUET » : 1879 – 1882
« BOUCHAUD » : 1883 – 1896
□ Jean DUPRET : « DUPRET » : vers 1905 – 1938
□ Henri CHABEAUD : « CHABAUD A NONTRON » : 1930 – 1935

Le buis
Le buis est le matériau de prédilection pour la fabrication des manches dès la fin du XVIIIè siècle.

Il provient des alentours de Nontron, de l’Angoumois (forêt de la Braconne) et du Causse de Quercy.
La prééminence du buis sur les autres essences de bois (fruitiers essentiellement) est due à ses qualités physiques et esthétiques même si des hypothèses historiques ont été émises.

Le buis est un arbrisseau à feuilles persistantes de la famille des Buxacées. Il vit de 500 à 600 ans et pousse très lentement. Il ne dépasse jamais cinq mètres de haut.

Le bois du buis est apprécié pour sa couleur jaune citron qui tire sur un rouge plus chaud en vieillissant. Mais ses principales qualités sont la dureté et la grande finesse de son grain. Le buis est la plus dense des espèces ligneuses et la plus dure après l’ébène.

Il est utilisé par les tourneurs sur bois, sculpteurs, graveurs, pour des toupies, flûtes, manches d’outils … et de couteaux !

 

Lettre d’André Petit à un client
Le 9 avril 1911
Monsieur,

 

Suite à votre honorée du 28 écoulé, à l’avenir envoyez nous un modèle de couteau comme vous le désirez.

Je vous ferai remarquer que ces couteaux sont entièrement faits à la main, que le fini, les lignes dernières sont façonnées entièrement par l’ouvrier, et que seul son goût guide dans l’accomplissement de sa tâche. Autant d’ouvriers, autant de différentes sortes de couteaux, tout au moins pour un connaisseur, artiste comme vous.

D’une manière générale les couteaux auront tous la même forme à peu près semblable, tous la même longueur, seul diffère le dernier coup de main de l’ouvrier et qui répond bien entendu selon les variations du travailleur à tel ou tel genre. Ceci est tellement vrai que, moi-même je reconnais en magasin, les fabricants ouvriers qui ont fait l’article et que tel ou tel couteau, sans me tromper, je lui donnerai l’estampille et le nom de celui qui l’a fait. Je reconnais en vous, Monsieur, l’artiste habitué à avoir l’œil flatté par les formes.

Je vous le répète, à l’avenir, procurez nous un modèle semblable à celui que vous désirez.

Croyez, Monsieur, à l’assurance de ma plus parfaite considération.

André Petit
Rondeau des commerçants
Chanté par Melle Antoinette Bénévent
Cette chanson de 1908 publiée dans la Revue nontronnaise fait l’éloge de Nontron, ses commerces et son couteau :

– Mais de votre coutellerie
Parlez moi car il est temps.
– C’est une vieille industrie
Qui remonte à plus de mille ans !
Avec le couteau gigantesque,
On en fabrique un tout petit,
Gros comme une puce ou presque,
Soit chez Bernard, soit chez Petit.
Du reste entrons dans la boutique
De l’un ou l’autre fabricant
Voilà le couteau microscopique
A côté du couteau géant
On loge au moins une douzaine
De cet atome de couteau
Dans l’intérieur de la graine
De la cerise : son noyau !