Initiation – Exposition de fin de résidence design et métiers d’art d’Amaury Poudray

« Pour les poètes et les romanciers, le jeu d’échecs est en effet devenu au fil des siècles un thème à part entière, offrant tout à la fois une structure narrative, un cadre symbolique et un univers poétique ineffable. (…) Car le jeu d’échecs n’est pas vraiment fait pour jouer. Il est fait pour rêver. Rêver à la marche des pièces et à la structure de l’échiquier. Rêver à l’ordre du monde et au destin des hommes. Rêver, comme au Moyen Âge, à tout ce qui se cache derrière la réalité apparente des êtres et des choses. ».
M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental.
Initiation est plus qu’un objet, c’est une aventure humaine entre un designer, Amaury Poudray et trois artisans, la céramiste Stéphanie Marcenat, la tisserande Christelle Poullain, l’ébéniste Jean-Christophe Robin. C’est une histoire de rencontres entre quatre personnalités partageant des valeurs communes, la volonté d’utiliser des matériaux durables dans le respect du vivant, et du territoire. C’est aussi une Initiation à la beauté du travail de la main, de celle des matériaux, à la lenteur.

Tout a commencé au printemps dernier quand Amaury Poudray, accompagné de Marthe, sa petite fille de 3 ans et demi, est accueilli à Nontron. Avec pour tout viatique une liste de noms – celle des adhérents au Pôle Expérimental des Métiers d’Art -, le designer part à la découverte de la région et de ses ressources, va à la rencontre des artisans, à la recherche de professionnels «radicaux dans leur volonté de faire local ». Dès le départ, Amaury Poudray souhaite associer plusieurs savoir-faire pour réaliser un jeu.
Le thème du jeu est apparu très vite, en lien avec son quotidien de père. L’idée va évoluer au fil des discussions pour se cristalliser autour du jeu d’échecs. L’envie partagée de développer un projet ambitieux amène l’équipe à envisager un dispositif autour des échecs comprenant une table de jeu complétée par des boîtes de rangement, un Tangram et un tapis de jeu destiné aux cartes. Le designer décrit l’ensemble comme « un objet puzzle ». Mobile, chaque élément se place au centre de la table pour être utilisé ou se range dessous. A Jean-Christophe Robin incombe la réalisation du meuble et de l’échiquier, à Stéphanie Marcenat les pièces du jeu ainsi que le Tangram, à Christelle Poullain, le tapis de jeu, une languette ainsi que des carrés textiles pour emballer les trois parties du plateau d’échecs et les éléments du Tangram, à Amaury Poudray le rôle de chef d’orchestre.
Pour tous, le temps resserré du projet est un véritable challenge. C’est d’autant plus le cas pour le travail de la céramique, la fabrication du fil ainsi que le tissage. Par ailleurs, Stéphanie Marcenat s’essaye pour la première fois au modelage et doit gérer une fabrication délicate. Pour Jean-Christophe Robin, la difficulté réside dans la combinaison harmonieuse de deux essences de bois, le noyer et le châtaignier, et dans la nécessité d’anticiper le retrait du bois. Quant à Amaury Poudray, le défi a consisté à dessiner un projet avec des savoir-faire qu’il découvre et ne maîtrise pas. Avec Initiation, chacun est sorti de sa zone de confort.

Le projet ne serait pas complet sans les photographies et la vidéo également présentées dans l’exposition. Ces médiums accompagnent tous les projets du designer. Leur rôle est d’offrir une autre perspective sur le travail. Amaury Poudray a fait appel à la photographe Pauline Turmel qu’il considère, au même titre que les artisans, comme un membre à part entière du groupe. Dans chacun des ateliers, elle concentre son regard sur les mains et les matériaux manipulés. Œuvres autonomes, les neuf visuels réalisés ont aussi pour fonction de valoriser le projet. A leur côté, la vidéo aide à la compréhension de ses coulisses. Il s’agit d’un montage des vidéos tournées par le designer pour documenter la fabrication.
D’une manière générale, Amaury Poudray considère le jeu comme « un acte de résistance dans cette société de consommation, de sur optimisation. Sa pratique est un temps suspendu qui autorise la lenteur ». Correspondant parfaitement à cette définition, le jeu d’échecs est aussi, dans ce contexte particulier, un objet manifeste qui symbolise le métier de designer tel qu’Amaury Poudray le conçoit : celui d’un chef d’orchestre qui assure la cohérence du projet.

Claire Fayolle

Amaury Poudray, Networks, designer
Dès ses études, Amaury Poudray a fait preuve d’un intérêt particulier pour le travail artisanal et les matériaux. Il a fondé l’agence de design Networks « qui valorise l’humain, l’écologie et la beauté des compétences manuelles.» La dimension locale du projet et la promotion « d’un art de vivre respectueux envers le vivant » participent à la conception de la durabilité portée par le designer.
Dans le cadre de la résidence design et métiers d’art à Nontron, il a initié le projet Initiation et l’a développé en étroite collaboration avec trois artisans du territoire.

Stéphanie Marcenat, atelier Mars, céramiste
Stéphanie Marcenat travaille essentiellement avec des argiles locales. Elle élabore aussi ses émaux à partir de minéraux qu’elle collecte dans différents lieux tels que des carrières ou les lits de rivière… Dans son processus de fabrication, elle veille à avoir l’impact « le plus faible possible sur l’environnement ». Le choix des matières premières qu’elle utilise, des cuissons, d’emballages recyclés témoigne de cette volonté.
Pour Initiation, elle a récolté une argile très ferrugineuse pour sculpter les pièces d’échecs et a créé deux émaux pour les couvrir. L’émail blanc est fabriqué à partir d’une craie issue de la carrière de Sainte-Croix-de-Mareuil et mélangée avec du quartz et du granit. Il permet d’obtenir un ivoire soyeux. L’émail noir est composé de craie, de granit, de cendres d’ébène (chutes de la Coutellerie nontronnaise) et de minerai de fer. Il produit un noir profond très mat.

Christelle Poullain, atelier Ewe, tisserande, teinturière et fileuse
Formée à la teinture végétale, Christelle Poullain crée ses propres couleurs à partir de végétaux glanés dans les prés, aux bords des chemins, en forêt… Elle fabrique également son fil sur rouet à partir de toisons issues d’élevages locaux qu’elle trie, lave et carde. La production du fil est l’activité la plus chronophage, une pelote de cent grammes nécessite 16h de travail. Enfin, elle tisse à la main sur un métier à bras. Elle revendique « la valeur du geste, la persévérance et le retour à la lenteur ».
Pour Initiation, elle a utilisé la toison naturellement colorée d’une brebis Ouessant.

Jean-Christophe Robin, menuiserie d’art
L’ébéniste Jean-Christophe Robin refuse de travailler avec des bois exotiques. « Pour être cohérent et dans le respect de cette matière qui nous entoure », il privilégie les bois massifs locaux : le frêne, le chêne, le hêtre, le châtaignier. Il explique chercher « à révéler ces essences avec des ponçages très fins et des huiles pour qu’elles conservent leur âme originelle et naturelle ». Par ailleurs, pour se procurer du bois, il fait scier des arbres en fin de vie ou des arbres qui doivent être coupés.
Pour Initiation, il a utilisé du châtaignier et du noyer massifs.

Pauline Turmel, photographe
Pauline Turmel « partage son temps entre des travaux de commande, la réalisation d’ateliers de pratique artistique et ses recherches personnelles ». Avec ces dernières, « elle poursuit un travail sur la narration, sur la mémoire des lieux et de ceux qui les habitent ». Elle considère la photographie comme « un magnifique outil pour (…) poser un regard sensible sur son environnement. »
Pour Initiation, elle a réalisé une série de neuf photographies.